Immigration . Le Conseil d’Etat confirme une directive européenne, moins répressive que la loi actuelle.
Bonne nouvelle pour les sans-papiers sous le coup d’une mesure d’expulsion. Et mauvaise pour un gouvernement qui brandit le spectre d’un afflux d’immigrants clandestins depuis le début des révolutions arabes. Dans un avis rendu public hier, le Conseil d’Etat a donné raison aux juges qui, faute d’une transposition par la France d’une directive européenne, remettent en liberté des étrangers en situation irrégulière menacés d’une reconduite à la frontière.
C’est le scénario que le gouvernement redoutait. Lundi, dans un avis très attendu, le Conseil d’État a estimé qu’une directive européenne de 2008, dite «directive retour», était «directement invocable par les justiciables contestant l’arrêté de reconduite à la frontière dont ils font l’objet». En clair: l’éloignement quasi immédiat d’un clandestin devient l’exception. Toute décision de reconduite à la frontière doit désormais, aux termes de la directive européenne, laisser «un délai approprié, allant de 7 à 30 jours, pour permettre le départ volontaire de l’étranger concerné», rappellent les Sages, qui ajoutent: «Ce n’est qu’à l’expiration de ce délai que la mesure d’éloignement peut être exécutée.»
Concrètement, avec ces nouvelles règles, si un clandestin disparaît durant le délai qui lui est imparti, au lieu de rentrer chez lui, il faudra que la police ou la gendarmerie croisent à nouveau sa route, lors d’un contrôle d’identité inopiné, par exemple, pour espérer le renvoyer sans coup férir. À supposer, bien sûr, que son pays d’origine accepte de lui délivrer un laisser-passer consulaire s’il n’a plus de papiers…
Mais le risque de fuite du clandestin ne justifie-t-il pas, à lui seul, que l’intéressé soit maintenu en rétention administrative, le temps de préparer son retour au pays? Là est la subtilité. Dans la directive européenne de 2008, il est bien spécifié que le délai de retour volontaire peut être réduit ou supprimé en cas de «risque de fuite» notamment ou de «danger pour l’ordre public» ou la «sécurité».
La «directive retour»
Le ministère de l’Intérieur aurait pu espérer une lecture extensive de cette notion, pour faciliter les reconduites à la frontière, surtout dans le contexte de pression migratoire né des récentes révolutions arabes. Mais le Conseil d’État a opté pour l’interprétation restrictive. «La notion de risque de fuite permettant de réduire ou supprimer le délai pour départ volontaire doit être définie par la législation nationale sur la base de critères objectifs», a-t-il déclaré. Sous-entendu: il faudra pouvoir prouver, au cas pas cas, que la crainte est fondée, sur la base d’éléments tangibles.
Le Conseil d’État a tenu à ajouter que «l’État ne pouvait pas, aussi longtemps que le droit national ne comporterait pas une telle définition, invoquer ce risque pour justifier une réduction ou une suppression de ce délai». Il faudra maintenant attendre le vote de la loi Besson pour que la «directive retour» ait une traduction en droit français. Or celle-ci ne sera votée et applicable, passé les délais de recours, au mieux qu’en juin. «À raison de 30.000 arrêtés de reconduite en moyenne chaque année, on devine l’impact d’un tel avis sur le quotidien des services», commente un préfet, désabusé. Le ministère de l’Intérieur déclarait lundi soir prendre, pour sa part, «les mesures nécessaires pour tenir compte de cet avis».
Retour gagnant pour les sans-papiers
Explication : le 16 décembre 2008, le Parlement européen a adopté la directive dite «retour». Ce texte encadre les conditions du retour des étrangers en situation irrégulière vers leur pays d’origine ou un autre pays de l’Union européenne. Et il leur est beaucoup plus favorable que la législation française actuelle. Problème : la France avait jusqu’au 24 décembre 2010 pour transposer cette directive dans sa législation. Mais elle n’a pas respecté ce délai. La loi sur l’immigration, adoptée en deuxième lecture par l’Assemblée nationale le 15 mars, vise en effet à transposer la directive retour, mais elle ne sera pas promulguée avant plusieurs mois. La France est donc dans l’illégalité.
La règle européenne voulant qu’une directive non transposée dans les délais soit directement applicable, les avocats soulèvent ce moyen de droit depuis le 24 décembre. Et les tribunaux administratifs leur donnent raison : ils auraient annulé des «centaines» de décisions de reconduite à la frontière, selon Serge Slama, spécialiste en droit public à l’université d’Evry (Essonne).
Après que des décisions favorables aux sans-papiers ont été rendues à Paris, Lille, Lyon, Rouen, le tribunal administratif de Montreuil (Seine-Saint-Denis) a demandé l’avis du Conseil d’Etat. Qui lui a répondu hier que «la directive retour est directement invocable par les justiciables contestant l’arrêté de reconduite à la frontière dont ils font l’objet».