Le 11 novembre, à l’issue du 4e Forum mondial sur la migration et le développement (FMMD), où 130 Etats étaient représentés, à Puerto Vallarta(Mexique), le mouvement associatif a dénoncé les « politiques inadéquates en matière d’immigration en temps de crise» . Les syndicats internationaux, réunis dans le réseau Global Unions, ont critiqué le choix des Etats de privilégier les programmes dits « temporaires» qui n’offrent aucune garantie aux travailleurs.
Alors que les flux migratoires ont ralenti sous l’effet de la crise, selon l’OCDE qui a noté un recul en 2008 et 2009 après cinq ans de hausse continue, les débuts de reprise dans les pays occidentaux pourraient se traduire par de nouvelles migrations économiques. Et un recours accru aux contrats temporaires.
Claire Courteille, qui représentait au Mexique la Confédération syndicale internationale (CSI), cite l’exemple d’un programme signé entre le Canada et le Guatemala. « Dans la convention, les passeports sont gardés par les autorités du pays d’accueil, les migrants n’ont pas le droit de contacter une organisation syndicale ni de s’en approcher, ils ne doivent pas chercher un autre travail, résume Mme Courteille. Bref, ils n’ont aucun droit.» Global Unions dénonce le « colportage agressif» qui est fait autour de ces programmes de migration temporaire, dans les pays d’origine comme dans ceux de destination.
« HYPOCRISIE DES GOUVERNEMENTS»
Cette migration temporaire se fait souvent par le biais d’intermédiaires comme entre pays du Golfe et pays asiatiques. Entre l’Arabie saoudite, Oman, le Koweit ou encore Bahrein et des travailleurs qui viennent du Pakistan, des Philippines ou duSri Lanka, le système lie l’employé directement à l’employeur. Le lieu de résidence est, par exemple, attaché au contrat de travail. Selon Claire Courteille, « en dehors de cette relation, le travailleur n’a pas d’existence légale, ce qui donne lieu à toutes sortes d’abus» .
L’exclusion des migrants des systèmes de protection sociale, le dumping lié à l’absence de droits, les tensions qui en résultent avec les salariés du pays d’accueil… sont autant d’éléments de crises. « Il y a une vraie hypocrisie des gouvernements qui tiennent des discours durs sur l’immigration et y font appel de façon temporaire sans lui offrir de garantie» , dit Mme Courteille. Mais des avancées existent, selon elle, citant un accord entre le Sénégal et l’Espagne négocié avec les syndicats et garantissant des droits similaires aux travailleurs migrants et nationaux.
Les intérêts entre pays de départ et pays d’accueil étant divergents sur à peu près tout, « l’existence même d’un lieu de dialogue est en soi un progrès car la question migratoire qui souffre d’un excès de politisation tant au niveau national qu’international a besoin d’être dépassionnée» , estime Jean-Christophe Dumont, qui représentait l’OCDE au FMMD.
Initié en 2007 à Bruxelles, le Forum, qui ne fait pas partie du système des Nations unies, est ouvert à tous les membres de l’ONU. Depuis cette date, « la question migratoire est sortie du champ bilatéral pour faire l’objet d’une plateforme mondiale, elle a quitté le seul terrain sécuritaire et du contrôle du territoire» , écrit Catherine Wihtol de Wenden, directrice au Centre d’études et de recherches internationales de Sciences Po, dans son tout dernier livre consacré à La question migratoire au XXIe siècle (Presses de Sciences Po, novembre 2010, 261 pages, 17 euros).
RÈGLES SUPRANATIONALES
Le vœu des grandes ONG est de transformer le Forum en agence onusienne, un processus auquel rechignent les Etats d’accueil redoutant par-dessus tout de se voir imposer des règles supranationales. La convention de 1990 (ONU) sur les droits des travailleurs migrants et leurs familles n’a été signée que par 43 Etats, tous du Sud, et « rejetée par tous les pays d’accueil parce qu’elle ouvre le droit à la protection des sans-papiers» , rappelle Mme Wihtol de Wenden.
Comme lors des forums précédents, celui de Puerto Vallarta a été précédé par la rencontre des acteurs de la société civile et par un forum alternatif, « l’action globale des peuples pour la migration» . Avec une nouveauté toutefois puisque le Forum lui-même avait prévu un « espace» commun entre Etats et société civile.
Les ONG sont « inquiètes d’une récupération du thème migratoire par les Etats dans la seule optique du développement, en se dédouanant de la question des droits de l’homme» , estime Jean-Baptiste Meyer, chercheur à l’Institut de recherche et de développement.
A l’issue de la rencontre mexicaine, l’avenir du Forum apparaît sinon compromis du moins incertain. Madrid (Espagne), qui devait assurer la prochaine édition en 2012, a jeté l’éponge et a été remplacé par la Suisse. Rabat (Maroc) qui devait l’organiser en 2013 a également renoncé. Ce qui n’empêche pas certains Etats, comme le Mexique ou le Maroc, d’avoir joué un rôle de « locomotives» à Puerto Vallarta, estime M. Meyer. Pays de départ tout en étant pays d’accueil et de transit, ces gouvernements ont le sentiment d’être au centre du processus migratoire.
Rémi Barroux et Brigitte Perucca